vendredi 25 novembre 2011

That Don't Make It Junk

I fought against the bottle,
But I had to do it drunk -
Took my diamond to the pawnshop -
But that don't make it junk.

I know that I'm forgiven,
But I don't know how I know
I don't trust my inner feelings -
Inner feelings come and go.

How come you called me here tonight?
How come you bother
With my heart at all?
You raise me up in grace,
Then you put me in a place,
Where I must fall.

Too late to mix another drink 
The lights are going out 
I'll just listen to the darkness sing 
I know what that's about.

I tried to love you my way,
But I couldn't make it hold.
So I closed the Book of Longing
And I do what I am told.

How come you called me here tonight?
How come you bother with my heart at all?
You raise me up in grace,
Then you put me in a place,
Where I must fall.

I fought against the bottle,
But I had to do it drunk -
Took my diamond to the pawnshop -
But that don't make it junk.



Leonard Cohen, a sa manière, évoque l’une des questions essentielles (sinon l’un des principaux mystères) de la vie. Que l’être humain soit capable du meilleur comme du pire a été maintes fois démontré. Que le “bien” qu’un homme peut faire au cours de sa vie soit l’image de son “être profond” (“l’homme intrinsèquement bon”) ou la réalisation d’un “plan” divin est une question largement débattue, et qui nous confronte aux paradoxes et contradictions des religions. Sans trancher le débat, Léonard Cohen projette sur le sujet une lumière crue : « Inner feelings come and go ». Nos sentiments « profonds », impressions, perceptions et intuitions, sont, quoi qu’on puisse en dire, superficiels et changeants. Dans une interview, il va plus loin et précise : « De nos jours, la sagesse populaire prétend que l’on doit rester fidèle à ses sentiments les plus profonds, comme s’il y avait d’un côté un « moi » mineur et contingent, et de l’autre un « moi » authentique. Mon expérience personnelle m’apprend que ces prétendus sentiments profonds, auxquels nous nous imaginons être fidèles, sont tout aussi fluctuants que les sentiments dits superficiels. En fait, toutes nos idées sont superficielles ».

En un sens, cela se comprend : notre cerveau dispose d’informations incomplètes et limitées sur notre environnement et son évolution. Devant prendre des décisions d’action ou réaction, il procède à des déductions et extrapolations plus ou moins rigoureuses, en se fondant sur le bilan des expériences passées, pour imaginer et prévoir. L’ensemble de ces expériences et leurs interprétations, teintées du « ressenti » résultant de la charge affective positive ou négative qui leur a été attribuée, constitue un « fatras » dont la complexité croît au cours de la vie, de sorte qu’il est difficile (même avec l’aide d’un psychologue) de démêler l’écheveau et remonter à la source. Dans la vie courante, c’est donc sur la résultante de ces multiples souvenirs, affects, déductions et suppositions enchevêtrées que nous devons nous fonder pour agir ou réagir à notre environnement.

Parfois, cependant, à la faveur d’un souvenir particulier, nous avons l’impression d’entrevoir – ou de percevoir – de façon souvent partielle et fugitive, “les profondeurs de notre âme”. Par la résonance de ce pouvoir évocateur, resurgissent ainsi des idées, des impressions et des sentiments depuis longtemps enfouis, et nous avons alors la surprise de constater (ou “dérouler”) le lien qui les rattache à nos perceptions actuelles. Ce n’est pas vraiment l’effet qui évoque la cause ; c’est la guirlande des souvenirs enchaînés les uns aux autres qui s’illumine tout à coup et en retrace le parcours.

Néanmoins, ce que l’on aperçoit ainsi dans un bref éclair n’est qu’un aspect de la réalité. Une seule perspective, si unique soit-elle, ne permet pas d’appréhender le relief, et la complexité des mécanismes intimes qui sous-tendent nos sentiments est telle que nous n’en pouvons entrevoir que la surface, dont la couleur et l’aspect changent avec l’éclairage.

Que nos idées et sentiments soient, ainsi, « superficiels » ne signifie pas pour autant que nous puissions changer fondamentalement aussi facilement. Cela veut dire simplement que nos perceptions et nos sentiments, comme notre comportement, sont le résultat d’interactions si complexes que nous ne pouvons généralement en faire qu’une analyse superficielle. Sans atteindre, peut-être, l’imprévisibilité logique du chaos déterministe, la variabilité de nos impressions et de nos réactions reflète la multiplicité des causes et des influences, et la complexité des relations, avec des résultats qui peuvent changer selon le contexte et donner un impression d’inconsistance.
Pourtant, si les circonstances nous confrontent à nos faiblesses et exposent nos échecs, cela n’altère pas fondamentalement notre être : cela « n’en fait pas du « toc », de la pacotille sans valeur ni intérêt.

Reste à savoir pourquoi nous sommes toujours placés dans des situations telles que nous ne pouvons qu’échouer… si tant est qu’il y ait un « pourquoi » ?
Léonard Cohen pose la question, mais sa formulation porte en elle une réponse, que l’on peut interpréter en termes religieux ou théologiques, ou laisser en suspens si l’on se méfie des réponses toutes faites et des « logiques aspirantes » qui prétendent donner un sens à la vie en nous dictant une conduite et nous dispensant de réfléchir.

Comme toujours avec LC, chacun reste libre de choisir à quel niveau il souhaite interpréter ce texte, selon son humeur et selon sa croyance, pour ébaucher une réponse : Dieu, le destin, l’amour, ou tout simplement la vie…

Libres aussi de le suivre ou non sur le chemin d’une sagesse bouddhiste, et de refermer le « livre du désir ».

Mais son message peut signifier aussi que, quelles que soient les motivations, les causes et les raisons complexes qui peuvent susciter ou expliquer nos actions, quelles que soient même nos intentions, cela n’en fait pas du « toc » (ou de la boue, pour garder la rime) si ces actions soutiennent et renforcent la vie et l’amour.


Ça n’en fait pas du toc

J’ai combattu la bouteille
Fallait-il que je sois saoul
Mais mettre mon diamant au clou
Ça n’en fait pas d' la boue

J’ignore comment je le sais
Mais j’en ai reçu pardon
Je doute de mes sentiments
Les sentiments viennent et vont

Pourquoi m’as-tu appelé
Pourquoi te soucier
De mon cœur ce soir
Tu m’élèves en grâce, et
En ce lieu viens me placer
D’où je dois choir

Trop tard pour prendre un autre verre
Les lumières cessent de luire
J’écout’rai le chant des ténèbres
Je sais c’ que ça veut dire

J’ai tenté à ma manière
De t’aimer sans réussir
J’ai donc clos le livre du désir
Et me contente d’obéir

Pourquoi m’as-tu appelé
Pourquoi te soucier
De mon cœur ce soir
Tu m’élèves en grâce, et
En ce lieu viens me placer
D’où je dois choir

J’ai combattu la bouteille
Fallait-il que je sois saoul
Mais mettre mon diamant au clou
Ça n’en fait pas d’ la boue

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)

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